Basic Verities – Prose and Poetry: Jewish Policy (Charles Peguy – 1910)

Basic Verities – Prose and Poetry
by Charles Peguy

Rendered into English by Ann and Julian Green
Pantheon Books Inc., New York – 1943 (1945)

Notre Jeunesse, XI, 12, 1910

LA POLITIQUE JUIVE

Jewish Policy

Israel has given the world innumerable prophets, heroes, martyrs and warriors without number.

But, after all, in normal times,
the people of Israel, like all other peoples,
does not wish to enter into extraordinary times.

When it belongs to a period, like all other peoples, it does not wish to enter an epoch.

____________________

IL Y A UNE POLITIQUE JUIVE.  Pourquoi le nier.  Ce serait le contraire au contraire qui serait suspect.  Elle est sotte, comme toutes les politiques.  Elle est prétentieuse, comme toutes les politiques. Elle est envahissante, comme toutes les politiques.  Elle est inféconde, comme toutes les politiques.  Elle fait les affaires d’Israël comme les politiciens républicains font les affaires de la République.  Elle est surtout occupée, comme toutes les politiques, à étouffer, à dévorer, à supprimer sa propre mystique, la mystique dont elle est issue. Et elle ne réussit guère qu’à cela. —

THERE IS A JEWISH POLICY.  Why deny it?  The contrary, on the contrary, would be suspicious.  It is stupid, like all policies, pretentious, like all policies, encroaching, like all policies.  It is unfruitful, like all policies.  The policy performs Israel’s business, as republican politicians perform the Republic’s business.  Like most policies, it is above all busy stifling, devouring and suppressing its own mysticism, the mysticism from which it sprang.  And it scarcely succeeds in anything but that. –

La grande majorité des Juifs est comme la grande majorité des (autres) électeurs.  Elle craint la guerre.  Elle craint le trouble.  Elle craint l’inquiétude.  Elle craint, elle redoute plus que tout peut-être le simple dérangement.  Elle aimerait mieux le silence, une tranquillité basse.  Si on pouvait s’arranger moyennant un silence entendu, acheter la paix en livrant le bouc, payer de quelque livraison, de quelque trahison, de quelque bassesse une tranquillité précaire.  Livrer le sang innocent, elle sait ce que c’est.  En temps de paix elle craint la guerre.  Elle a peur des coups.  Elle a peur des affaires.  Elle est forcée à sa propre grandeur.  Elle n’est conduite à ses grands destins douloureux que forcée par une poignée de factieux, une minorité agissante, une bande d’énergumènes et de fanatiques, une bande de forcenés, groupés autour de quelques têtes qui sont très précisément les prophètes d’Israël.  Israël a fourni des prophètes innombrables, des héros, des martyrs, des guerriers sans nombre.  Mais enfin, en temps ordinaire, le peuple d’Israël est comme tous les peuples, il ne demande qu’à ne pas entrer dans un temps extraordinaire.  Quand il est dans une période, il est comme tous les peuples, il ne demande qu’à ne pas entrer dans une époque.  Quand il est dans une période, il ne demande qu’à ne pas entrer dans une crise.  Quand il est dans une bonne plaine, bien grasse, où coulent les ruisseaux de lait et de miel, il ne demande qu’à ne pas remonter sur la montagne, cette montagne fût-elle la montagne de Moïse.  Israël a fourni des prophètes innombrables; plus que cela elle est elle-même prophète, elle est elle-même la race prophétique.  Toute entière, en un seul corps, un seul prophète.  Mais enfin elle ne demande que ceci: c’est de ne pas donner matière aux prophètes à s’exercer.  Elle sait ce que ça coûte.  Instinctivement, historiquement, organiquement pour ainsi dire elle sait ce que ça coûte.  Sa mémoire, son instinct, son organisme même, son corps temporel, son histoire, toute sa mémoire le lui disent.  Toute sa mémoire en est pleine.  Vingt, quarante, cinquante siècles d’épreuves le lui disent.  Des guerres sans nombre, des meurtres, des déserts, des prises de villes, des exils, des guerres étrangères, des guerres civiles, des captivités sans nombre.  Cinquante siècles de misères, quelquefois dorées.  Comme les misères modernes.  Cinquante siècles de détresses, quelquefois anarchistes, quelquefois masquées de joies, quelquefois masquées, maquillées de voluptés.  Cinquante siècles peut-être de neurasthénie.  Cinquante siècles de blessures et de cicatrices, des points toujours douloureux, les Pyramides et les Champs Elysées, les rois d’Egypte et les rois d’Orient, le fouet des eunuques et la lance romaine, le Temple détruit et non rebâti, une inexpiable dispersion leur en ont dit le prix pour leur éternité.  Ils savent ce que ça coûte, eux, que d’être la voix charnelle et le corps temporel.  Ils savent ce que ça coûte que de porter Dieu et ses agents les prophètes.  Ses prophètes les prophètes.  Alors, obscurément, ils aimeraient mieux qu’on ne recommence pas.  Ils ont peur des coups.  Ils en ont tant reçu.  Ils aimeraient mieux qu’on n’en parle pas.  Ils ont tant de fois payé pour eux-mêmes et pour les autres.  On peut bien parler d’autre chose.  Ils ont tant de fois payé pour tout le monde, pour nous.  Si on ne parlait de rien du tout.  Si on faisait des affaires, de (s) bonnes affaires.  Ne triomphons pas.  Ne triomphons pas d’eux.  Combien de chrétiens ont été poussés à coups de lanières dans la voie du salut.  C’est partout pareil.  Ils ont peur des coups.  Toute l’humanité a généralement peur des coups.  Au moins avant.  Et après.  Heureusement elle n’a quelquefois pas peur des coups pendant.  Les plus merveilleux soldats peut-être du grand Napoléon, ceux de la fin, ne provenaient-ils pas généralement de bandes de déserteurs et d’insoumis que les gendarmes impériaux avaient poussés, menottes aux mains, avaient refoulés comme un troupeau.  —

The great majority of Jews is like the great majority of (other) voters.  It fears war.  It fears troublous times.  It fears disquietude.  And above all else, it fears, it dreads plain disturbance.  It would prefer silence, a base tranquility.  If only some agreement could be reached by means of a knowing silence, if only peace could be bought by delivering up a scapegoat, if only precarious quiet could be purchased with surrender, treachery, baseness.  This majority knows what it is to deliver up innocent blood.  In times of peace, it fears war.  It fears blows.  It fears publicity. It is forced to the measure of its own greatness.  Urged on alone by an active minority, a handful of rebels and insurgents, a band of fanatics and zealots grouped around a few heads which are precisely the prophets of Israel, it is led towards its great and painful destinies.  Israel has given the world innumerable prophets, heroes, martyrs and warriors without number.  But, after all, in normal times, the people of Israel, like all other peoples, does not wish to enter into extraordinary times.  When it belongs to a period, like all other peoples, it does not wish to enter an epoch.  When it belongs to a period, it does not wish to step into a crisis.  When it lives in a good rich plain, overflowing with milk and honey, it is reluctant to go up into the mountain, even though it be to the mountain of Moses.  Israel has supplied prophets without number.  What is more, Israel is itself a prophet, is in itself the prophetic race.  Wholly, in a single body, a single prophet.  In a word, Israel asks one thing only: to avoid giving the prophets grounds for prophecy.  She knows the cost of this.  Instinctively, historically, organically so to speak, she knows the cost of this.  Her memory, her instinct, even her temporal body, her history, all her memory tell her this.  Her whole memory is full of this.  Twenty, forty, fifty centuries of ordeals tell her this.  Wars without number, murders, deserts, captured cities, exiles, foreign wars, civil wars, captivities without number.  Fifty centuries of misery, though sometimes the misery be gilded, like modern misery.  Fifty centuries of afflictions, sometimes anarchistic, sometimes masked by joys, sometimes masked and disguised into voluptuousness.  Fifty centuries perhaps of neurasthenia.  Fifty centuries of wounds and scars, of ever painful injuries.  The Pyramids and the Champs Elysees, the kings of Egypt and the kings of the Orient, the whip of eunuchs and the Roman lance, the Temple destroyed and not rebuilt, an unatonable dispersion tell them the price of this for all eternity.  They know the cost of being the voice of the flesh and the temporal body.  They know the cost of bearing God and His agents the prophets.  His prophets which are the prophets.  Thus, secretly, they would prefer not to start all over again.  They fear blows.  They have had so many.  They would rather not talk about it.  They have so often paid for themselves and for others.  Surely there are other things to talk about.  They have so often paid for the whole world, for us.  Supposing one gave up talking about it once and for all.  Why not do business, good business.  Let us not triumph, let us not triumph over Israel.  How many Christians have been driven with whips into the path of salvation.  It is always the same everywhere.  They fear blows.  As a rule all humanity fears blows.  At least, before they fall.  And after they fall.  Fortunately sometimes blows are not feared while they fall.  The best among the great Napoleon’s wonderful soldiers were perhaps those who fought for him at the end of his career.  Yet these soldiers were generally taken from the ranks of deserters and defaulting recruits whom the imperial gendarmes pushed and drove before them in a handcuffed herd. –

Ils ont tant fui, tant et de telles fuites, qu’ils savent le prix de ne pas fuir.  Campés, entrés dans les peuples modernes, ils voudraient tant s’y trouver bien.  Toute la politique d’Israël est de ne pas faire de bruit, dans le monde (on en a assez fait), d’acheter la paix par un silence prudent.  Sauf quelques écervelés prétentieux, que tout le monde nomme, de se faire oublier.  Tant de meurtrissures lui saignent encore.  Mais toute la mystique d’Israël est qu’Israël poursuive dans le monde sa retentissante et douloureuse mission.  De là des déchirements incroyables, les plus douloureux antagonismes intérieurs qu’il y ait eu peut-être entre une mystique et une politique.  Peuple de marchands.  Le même peuple de prophètes. Les uns savent pour les autres ce que c’est que des calamités.

Israel has so often fled, so much and in such a manner that she knows the price of not running away.  Camped, included among the modern peoples, she would so much desire to find well-being among them.  The whole policy of Israel is to make no noise in the world (enough noise has been made), to purchase peace with prudent silence.  Apart from a few pretentious scatterbrains, whom everyone knows by name, Israel wishes to be forgotten.  She still has so many smarting bruises.  But the whole of Israel’s mysticism demands that Israel should pursue its resounding and painful mission throughout the world.  Hence extraordinary lacerations, the most painful of inner antagonisms ever known between mysticism and policy.  A people of merchants, the same people one of prophets.  The ones know for the others the meaning of calamities.

Les uns savent pour les autres ce que c’est que des ruines; toujours et toujours des ruines; un amoncellement de ruines; habiter, passer dans un peuple de ruines, dans une ville de ruines.

The ones know for the others the meaning of ruins, ever and ever ruins, piles of ruins.  What it means to dwell, to pass midst a people in ruins; through a city in ruins.

Je connais bien ce peuple.  Il n’a pas sur la peau un point qui ne soit pas douloureux, où il n’y ait un ancien bleu, une ancienne contusion, une douleur sourde, la mémoire d’une douleur sourde, une cicatrice, une blessure, une meurtrissure d’Orient ou d’Occident.  Ils ont les leurs, et toutes celles des autres. —

I know this people well.  Not a square inch of its skin that does not smart with pain, that is not full of old bruises, old contusions, dull pain, the memory of dull pain, scars, wounds, lacerations from the East or from the West.  This people not only bears its own battle scars but those of all the other races. –

La sagesse est aussi une vertu d’Israël.  S’il y a les Prophètes il y a FEcclésiaste.  Beaucoup disent à quoi bon.  Les sages voyaient surtout qu’on allait soulever un tumulte, instituer un commencement dont on ne verrait peut-être jamais la fin, dont surtout on ne voyait pas quelle serait la fin.  Dans les familles, dans le secret des familles on traitait communément de folie cette tentative.  Une fois de plus la folie devait l’emporter, dans cette race élue de l’inquiétude.  Plus tard, bientôt tous, ou presque tous, marchèrent, parce que quand un prophète a parlé en Israël, tous le haïssent, tous l’admirent, tous le suivent.  Cinquante siècles d’épée dans les reins les forcent à marcher.

Wisdom is also one of Israel’s virtues.  Although there be the Prophets, there is Ecclesiastes.  Many say, well what’s the good of that?  The wise saw chiefly that an uprising was about to be staged, something begun which might never end; and particularly, no one could tell how it might end.  Within families, within the secret heart of families, this attempt was commonly taxed as folly.  Once again in this chosen race of unrest, folly was to triumph.  Later, all or almost all, fell into stride because when a prophet speaks in Israel, everyone hates him, everyone admires him, everyone follows him.  Fifty centuries of prodding in the ribs with a sword makes them all fall into step.

Ils reconnaissent l’épreuve avec un instinct admirable, avec un instinct de cinquante siècles.  Ils reconnaissent, ils saluent le coup.  C’est encore un coup de Dieu.  La ville encore sera prise, le Temple détruit, les femmes emmenées.  Une captivité vient, après tant de captivités.  De longs convois traîneront dans le désert.  Leurs cadavres jalonneront les routes d’Asie.  Très bien, ils savent ce que c’est.  Ils ceignent leurs reins pour ce nouveau départ.  Puisqu’il faut y passer ils y passeront encore.  Dieu est dur, mais il est Dieu.  Il punit, et il soutient.  Il mène.  Eux qui ont obéi, impunément, à tant de maîtres extérieurs, temporels, ils saluent enfin le maître de la plus rigoureuse servitude, le Prophète, le maître intérieur.

With admirable instinct, an instinct fifty centuries old, they recognize the trial.  They recognize, they hail the blow.  Another of God’s blows.  Once more the city will be taken, the Temple destroyed, the women carried away.  After so many captivities, yet another captivity lies ahead.  Long convoys will drag through the desert.  Their corpses will be landmarks along the roads of Asia.  Well, they know what it’s like.  They gird their loins for this new journey.  If it has to be, it will be done once again.  God is hard but He is God.  He punishes and He supports.  He leads.  They who have with impunity obeyed so many outer, temporal masters, at last hail the master of the harshest servitude, the Prophet, the inner master.